Azzopardi ou la mécanique des classes
Je marche dans Fontaine, petite ville voisine de Grenoble. Je marche dans Fontaine à la recherche de quelque chose à photographier. Ne s’enchainent que des immeubles gris et des HLM, des commerces de proximité et des abribus. Dans la rue Jean Pain, il y a bien un garage qui me fait de l’œil. Je passe souvent devant, et je me dis que j’aimerais m’y attarder. Toujours du monde, du bruit, de l’huile, et de grandes fenêtres de part et d’autre du bâtiment qui laissent passer une lumière horizontale mais diffuse.
Ce jour-là, je passe et j’entends « ohé la p’tite, elle nous prendrait pas en photo ? ». Patrick se tient là, devant moi, avec son ventre rond, ses rides et ses mains gris suie, un pneu dans chacune.
J’en prends une, et pendant deux ans j’y reviens. Lorsque je rentre dans le garage pour la première fois, c’est tout un monde qui se déploie devant moi. Le garage Azzopardi est aux antipodes des espaces que je fréquente. Les propos sont crus, parfois douteux. Ce qui se joue, dans cette rencontre, c’est la confrontation de deux milieux qui ne dialoguent pas, empreints de valeurs diamétralement opposées.
Pourtant le garage Azzopardi n’est pas qu’un lieu où l’on change des pneus et des filtres à air. C’est aussi un lieu de sociabilité, un point de retrouvailles hebdomadaire de plein d’habitués, voisins, voisines, qui viennent boire un café ou filer un coup de main en temps de grosse affluence de clientes. C’est un espace de solidarité, de confidences, où l’on parle de soi, des autres, de ses problèmes, de la politique. Je me faufile dans cet univers avec fascination et méfiance, entre intégration et isolement. Constat béant de la différence. Chez Azzopardi se monte et démonte la mécanique des classes.